lundi 3 octobre 2016

Etat d'âme

© Kot


Etat d'âme 


Livide, le nez collé contre la vitre de la grande baie qui donnait sur le parc, faisant abstraction de tout ce qui l’entourait Ronald regardait au loin fixement cherchant à percer l’horizon pour y apercevoir un quelconque soupçon de vie au-delà des derniers bancs.

Le parc à cette heure était désert, les arbres squelettiques semblaient monter la garde. Pour qui ? Pour quoi ? Pas un oiseau, pas le moindre souffle de vent, pas une ombre, pas même un bruit étouffé, la neige à perte de vue et le givre qui avait tout figé. On eût dit un « arrêt sur image » de la vie elle-même. 

Ronald lui aussi était givré derrière cette baie, prisonnier comme l’était cette nature. Prisonnier de la nouvelle que les médecins venaient de lui annoncer. Sa femme n’en avait plus pour très longtemps. Son cœur avait cessé de battre un instant tant le coup avait été brutal, cette nouvelle l’avait presque transformé en statue de marbre. Il s’était montré digne, pas un mot n’était sorti de ses lèvres, pas une larme n’avait roulé sur sa joue alors qu’il voulait hurler. Il était simplement resté là longtemps et longtemps encore, une éternité, puis il s’était levé sans un mot, sans rien distinguer autour de lui. Il avait marché comme un automate et s’était retrouvé là derrière cette grande baie vitrée à regarder le parc sans vraiment le voir, à chercher au loin dans ce brouillard une lueur de vie, une lueur d’espoir mais le froid qui s’étalait là dehors l’avait à son tour envahi et rendu rigide. Il était en train de devenir un de ces bancs solitaires, glacés, inhospitaliers, inutiles, surtout inutiles en ce moment. Il sentit son cœur se réfrigérer… Comment le réchauffer pour continuer jusqu’au bout avec elle ?

Alors il s’effondra là sur le premier fauteuil de l’entrée, englué par la douleur, la tête entre les mains avec la vision de sa vie à venir semblable à ce paysage glacial.





8 commentaires:

  1. Un magnifique texte très touchant !

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  2. Terrible ! J'ai beaucoup aimé cette image : " Il était en train de devenir un de ces bancs ..."

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  3. Beaucoup d'émotion ici ! J'aime beaucoup la façon dont tu glisses de cette vision extérieure à sa douleur intérieure.

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  4. Un peu triste mais on ressent bien les émotions du personnage.

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  5. Un texte triste... Je le comprends...

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  6. Un texte plein d'émotions et d'empathie...Courage à lui...Bravo !

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  7. Touchant ... et pudique aussi. Cet homme qui pleure seul sur son banc pour épargner cette double peine à a sa femme, mais effectivement hard.

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