© Julien Ribot |
Au bout du rêve.
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Salut
la compagnie ! m’exclamai-je en pénétrant dans le seul bar de ce petit
village de montagne qui m’avait vu naître et grandir. Tous ceux qui étaient là
me connaissaient si bien
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Salut
Bruno ! répondirent-ils en chœur sur un ton enjoué.
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Cà
y est ! Elle est mienne enfin !
Je l’ai achetée !
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Tu
as fait quoi ! hurla mon père, barman de son état. Bruno, Tu n’as pas
fait çà ! T’es devenu fou !
Mon annonce eut pour effet
d’arrêter le temps, oui, un parfait arrêt
sur image. Certains avaient la bouche ouverte on eût dit des poissons rouges,
d’autres avaient leur verre levé et oubliaient de l’avaler, d’autres encore avaient les yeux
exorbités comme saisis de terreur. C’est ce qu’on pourrait appeler une entrée
réussie. Je jubilais.
Mon père bondit de
derrière son comptoir et me saisit au collet, me secouant comme il l’eût fait
pour une bouteille d’Orangina tout en criant, « T’as pas fait çà, tu vas tuer ta mère ! Tu le disais toujours,
mais tu n’étais qu’un gamin, mais maintenant t’es un homme… bordel ! »
et de me lâcher aussi brusquement avant de s’affaler sur une des chaises tandis
que tous les clients se regroupaient autour de nous.
Depuis mon enfance dans ce
petit village de montagne, je l’avais toujours vu fermée. C’était une petite maison
en pierre du pays, la dernière à l’orée du petit bois. Je n’avais jamais vu
quelqu’un y entrer ou en sortir. Les villageois changeaient de trottoir quand
ils arrivaient à son niveau, certaines vieilles allaient jusqu’à se signer en
pressant le pas tout en détournant la tête Personne n’en parlait, personne ne répondait
aux questions que je posais à son sujet et la conversation était bien vite détournée
ce qui ne faisait qu’accroître ma curiosité au fil des ans.
Quel secret entourait
cette demeure ? Elle me fascinait.
Que de fois j’avais tourné le loquet de la porte du jardin qui grinçait
sous mes doigts et résistait à mes assauts. Que de fois ai-je voulu escalader
le muret qui soutenait la grille en fer forgé, d’où s’échappaient les branches
des arbustes qui cachaient si bien la façade, mais je m’étais toujours fait
surprendre par un adulte sorti je ne sais d’où, à croire que cette masure était
sous haute surveillance. Pourquoi faisait-elle si peur à chacun alors qu’elle ne
cessait de m’attirer comme un aimant. Que de fois fus-je pris de tristesse en
apercevant une pancarte « A vendre » suspendu à la grille
du jardin et comme ma joie était grande dès qu’elle avait disparu aussitôt
mise. Chaque fois que je passais devant elle je me disais « Elle sera mienne, c’est moi qui l’achèterais,
elle m’est destinée ». Je brandis sous leurs yeux la grosse clef dorée
de la porte du jardin en criant tout en trépignant « Elle est à moi, elle est à moi ! ».
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Bruno,
cette maison est maudite, elle tue tous ceux qui l’habitent à chaque génération,
et ce dès sa construction. Nous en avons peur, même peur d’en parler. Mais
qu’as-tu donc fait. Et mon père s’enfonça dans son siège et enfouit la tête
entre ses mains, comme terrassé.
Sur ce chacun regagna son
siège dans un silence oppressant, me laissant là pantois.
J'aime bien les légendes des villages peuplées de lieux maudits, de on-dit. Je suis assez friande.
RépondreSupprimerQuelle affaire ! J'espère que Bruno n'est pas superstitieux ! Un bel art du suspens en tout cas!
RépondreSupprimerRoh ton texte me rappelle lorsque j'étais enfant avec mon meilleur ami il y avait derrière chez nous (nous habitions la même rangée de maison) des demeures inhabitées, nous imaginions un tas de chose dessus et bon nombre de fois nous avons tentés d'y pénétrer (la folie de la jeunesse, pas froid aux yeux les gamins). On adorait cela. Par contre ... je n'en aurai acheté aucune d'elle avec les horreurs que l'on se racontait haha.
RépondreSupprimerMerci de m'avoir permis de me remémorer ces légendes d'enfance.