lundi 28 septembre 2015

Une photo, quelques mots 189




© Julien Ribot
© Julien Ribot


Mamie courage !

Nous étions à la mi-octobre, il était 11 heures, il pleuvait depuis la veille, c’était une petite pluie fine, incessante, insidieuse. Le ciel était gris et le froid vous pénétrait les os. Avait-on besoin de sortir ?

Adrienne, petite vieille coquette parcourait les étroites allées du marché installé comme chaque jeudi au pied de son immeuble vétuste. Elle marchait lentement, se remplissait les sens avec les couleurs et les odeurs particulières, s’imprégnait des moindres bruits. S’arrêtait ici, devisait là avec les commerçants et les clients. Aller au marché était pour elle un moment de bonheur, de partage avec les autres.

Elle vivait seule de sa petite retraite de femme de ménage et habitait le quartier depuis 50 ans. Son mari Evariste, était décédé alors qu’elle venait d’atteindre la quarantaine et sa fille unique habitait bien loin d’elle aujourd’hui. Ses faibles revenus ne lui permettaient ni vie sociale, ni vie culturelle. Elle n’avait même pas la télé, le monde extérieur lui arrivait par le biais d’un vieux transistor qu’elle n’éteignait que pour s’endormir.

Adrienne repérait rapidement tous les étals qui offraient de la dégustation à la clientèle, fromage, charcuterie, fruits, boisson, elle n’en manquait aucun, elle goûtait en échangeant un mot gentil, une impression et s’en allait subrepticement. Après avoir fait sa tournée habituelle, elle s’en retournait chez elle sans oublier de passer devant l’étal d’Amine, le marchand de fruits, qui l’interpelait toujours d’un « Ah ! Voilà ma petite fiancée ! Comment va-t-elle aujourd’hui ? ». Adrienne ne s’en étonnait plus, souriait et s’arrêtait pour faire un brin de causette et Amine n’oubliait jamais de lui offrir quelques fruits bien juteux qu’elle acceptait maintenant volontiers. Rayon de soleil dans la journée! Sur le coup des 13 heures, juste avant la fin du marché Adrienne retournait sur les lieux, elle pouvait faire des « affaires », la marchandise étant alors à la portée de son portefeuille. Cette manière de procéder lui permettait et de manger autre chose que ce que lui autorisaient ses maigres revenus et de communiquer avec d’autres personnes, maintenant ainsi du lien social. En rentrant de nouveau chez elle, elle s’arrêtait au rez-de-chaussée où habitait Colette, qui ne quittait plus sa chaise roulante et partageait avec elle les quelques courses tout en papotant et en dégustant une tasse de thé.

Demain Adrienne irait sur le marché d’un autre quartier, plus loin et ainsi de suite durant toute la semaine, sauf le dimanche, son jour de repos. Aux différents supermarchés du quartier elle guettait et profitait au mieux des jours de dégustation.

Mais depuis quelques temps Adrienne était pensive, ses pas devenaient plus lourds, ses gestes plus lents, elle entendait lui semblait-il moins bien. Que deviendrait-t-elle si bientôt elle ne pouvait plus se déplacer ? Quelle stratégie devra-t-elle mettre en place pour se nourrir après le 15 de chaque mois, quand sa minuscule retraite aura déjà fondu ? Je ne veux pas déranger ma fille qui vit si loin de moi ! Que deviendrais-je ?

C’est sur ces réflexions que Adrienne se mettait au lit, mais dès que la lumière du jour filtrait à travers ses carreaux, sa bonne humeur habituelle reprenait le dessus et elle trouvait au fond d’elle le courage d’affronter la journée avec son maigre pécule. Elle se secouait et disait tout bas avec philosophie « Ma fille, à chaque jour suffit sa peine, Dieu y pourvoira ! ».

Venez lire les textes des autres participants sur le blog de Leiloona !

8 commentaires:

  1. Tristoune mais jolies ces rencontres. Par contre une partie de ton texte est mangé ..

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  2. Ta colonne de droite mange ton texte, c'est dommage car ça empêche la lecture

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  3. Merci les filles de me le signaler, je vais l'arranger après le travail.

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  4. "Marrant" car vous êtes nombreux à avoir parlé de la misère dans vos textes, comme si le marché l'évoquait.

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  5. Cela commence gentiment, on suit la grand-mère d'étal en étal.
    Puis le texte devient amer, presque dur et nous ramène à la réalité de la souffrance des fins de mois pour certains.
    Efficace et interpellant !

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  6. J'aime beaucoup Adrienne, elle est courageuse et on lui souhaite de garder cette étincelle heureuse dans le coeur, ça aide à avancer.

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  7. Cette photo a beaucoup inspiré la difficulté à faire face aux différents besoins du quotidien. Ton texte est malgré tout très bien écrit et cette mamie force l'admiration, tu as raison. J'espère juste qu'elle ne le perdra pas un jour en cours de route et qu'elle aura la force de s'y accrocher.

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